Dans cette interview de l’illustratrice animalière Natacha Noël, vous apprendrez :
- comment Natacha Noël a fait pour progresser dans l’illustration
- la différence entre l’illustration et le dessin
- s’il est possible ou non de vivre de l’illustration
- combien de temps met Natacha pour faire un dessin
- quelle est une des différences fondamentales entre la photo et le dessin
- comment faire pour trouver son style en photo et en dessin
- comment Natacha gère les règles de composition
- quel matériel utilise Natacha Noël
- comment Natacha gère les droits d’auteur des photos qu’elle utilise
- quel est l’animal qui est le plus difficile à dessiner
Vous pouvez retrouver tout le travail de Natacha Noël sur son site internet en cliquant ici.
Natacha Noël a ceci de commun avec les photographes animaliers c’est qu’elle a appris sur le terrain. Mis à part quelques cours, elle a appris toute seule dès 2011. Le noir et blanc est son dada et Natacha s’applique à obtenir un rendu ultra réaliste. Sa source d’inspiration vient de ses voyages et des photographies de son compagnon le photographe animalier Alexandre Boudet. Natacha aime pouvoir retranscrire les textures complexes des plumes et des poils des animaux qu’elle rencontre.
Retrouvez ici l’artiste mentionné au cours de l’interview :
Retrouvez ci-dessous la transcription texte de l’interview :
Régis Moscardini : Bonjour Natacha Noël.
Natacha Noël : Bonjour Régis.
Régis Moscardini : Je te remercie vraiment d’avoir accepté ma demande d’interview d’autant que, on va longuement en discuter ensemble, tu n’es pas photographe animalière. Est-ce que tu peux en quelques mots, s’il te plait, nous en apprendre un peu plus sur toi ?
Natacha Noël : Bien sûr. Moi, en fait je fais du dessin animalier. Comment c’est venu ? Je n’ai jamais fait d’école des beaux-arts, par contre j’ai toujours été attirée par le dessin. Quand j’ai rencontré Alexandre, lui m’a initié un petit peu à la photographie animalière.
Régis Moscardini : Alexandre, c’est Alexandre Boudet, photographe animalier professionnel depuis 4 ou 5 ans. Je l’ai interviewé il y a quelques temps sur le site. On peut retrouver l’interview sur le blog. C’est ton compagnon, c’est lui qui t’a initiée à cette activité-là ?
Natacha Noël : Exactement. C’est lui qui m’a initiée à la photographie animalière, à la découverte vraiment de la nature par ce biais. Le problème, c’est que la photo et moi, ce n’est pas une très grande histoire d’amour. Même si j’ai toujours beaucoup aimé la photo, le truc c’est que la photo animalière demande des conditions particulières, et je suis un peu chat noir avec les animaux. Ce qui fait qu’à chaque fois qu’on sortait en forêt par exemple pour voir des chevreuils ou voir des animaux, on ne voyait jamais rien.
Régis Moscardini : Donc Alexandre ne veut plus que tu viennes avec lui, j’imagine, parce que si tu fais fuir toutes les bêtes que lui convoite, ça va être problématique ?
Natacha Noël : Non, parce que lui arrivait toujours à trouver des choses, etc. Lui aime beaucoup sortir, ce n’est pas le souci. C’est par contre moi qui en avais un petit marre de compter le nombre de fourmis, le temps que mettait un escargot à traverser un certain espace, etc. Au bout d’un moment je lui ai dit, c’est gentil, j’aime bien mais on va arrêter là, je préfère rester à la maison plutôt que d’avoir froid tout le temps.
Régis Moscardini : D’accord. Tu l’as dit, tu es illustratrice. La première question qui me vient en tête, est-ce que c’est ton activité principale à temps plein ou simplement une passion et tu as un métier à côté ?
Natacha Noël : C’est une passion. J’ai un métier à côté. Je suis formatrice. En fait le dessin j’ai commencé il y a grosso modo 4 ans.
Régis Moscardini : Tu le dis, tu as toujours été attirée par le dessin mais je ne crois pas qu’il suffise d’être attiré par le dessin pour réaliser des dessins comme tu le fais vraiment d’un très haut niveau. Tu l’as dit, tu n’as pas fait d’études mais n’empêche que tu as surement suivi des formations. Comment tu t’es formée en fait ?
Natacha Noël : Quand il y a 4 ans j’ai décidé que je voulais faire du dessin plutôt que de la photo animalière, c’est venu d’une part parce qu’à l’époque j’étais en contact sur Facebook avec Marcello Pettineo qui est quelqu’un que j’admire beaucoup, que j’aimais énormément son travail, quand j’ai vu ses planches naturalistes, j’ai dit je veux faire la même chose. Donc je me suis renseignée, j’ai pris des cours de dessin, au moins un petit peu les bases.
Régis Moscardini : Comment ? En présentiel, dans une école ou sur Internet ? Comment tu as fait ?
Natacha Noël : Alexandre avait dans ses contacts quelqu’un qui donnait des cours de dessin. Je l’ai contacté. Je suis allée le voir. On a discuté un petit peu. En fait je n’avais strictement aucune base en dessin. J’avais besoin d’avoir un petit peu les bases. Il m’a donné des cours pendant 6 mois à raison d’une fois par semaine grosso modo. Au bout de 6 mois, lui n’avait pas les compétences pour m’emmener là où je voulais aller.
Régis Moscardini : Dans l’animalier particulièrement ?
Natacha Noël : Dans l’animalier particulièrement. Donc ce que j’ai fait, c’est que j’ai acheté des livres et j’ai travaillé à partir des livres. Là, j’ai vraiment progressé à ce niveau-là et je me suis vraiment attardé sur tout ce qui est travail de texture parce que c’était ce qui m’intéressait.
Régis Moscardini : Est-ce qu’on peut dire que tu as quand même un don à la base ? Moi, je crois que si je prends 6 mois de cours à raison d’une fois par semaine, je serai très loin de ce que tu fais actuellement. Donc tu as quand même des prédispositions dans ce domaine-là, non ?
Natacha Noël : Je te dis, j’ai toujours aimé le dessin, j’ai toujours un peu griffonné mais c’était toujours un petit peu tordu, ce n’était pas toujours très réaliste. Ce qui m’a vraiment aidé, c’est finalement tous les livres que j’ai achetés.
Il y en a eu beaucoup en anglais aussi parce que les Anglo-Saxons et les Américains sont très forts là-dedans. Je suis partie de là pour réussir à trouver comment on faisait, comment on réussissait à avoir des belles textures, etc. ça a été pas mal de test, à l’époque je travaillais en tant que graphiste avec Alexandre, je travaillais à la maison, j’avais un petit peu plus de temps pour moi, j’y passais facilement 3-4 heures par jour à dessiner. Le dessin, le secret c’est ça, c’est-à-dire que certes on peut avoir des dispositions mais à la base il faut surtout travailler.
Quand on débute, il faut travailler parce que sinon la main n’arrive pas à faire les bons gestes tout le temps. Si tu prends un dessin que tu commences, tu commences un jour, tu en fais une demi-heure, tu reprends 10 jours ou 15 jours après, tu ne sais plus forcément quel geste tu dois accomplir. Au tout début quand on fait du dessin, au final il faut en faire au minium une demi-heure ou une heure tous les jours pour créer les connexions nécessaires dans le cerveau pour que ça devienne automatique.
Régis Moscardini : C’est vrai que je ne m’imaginais pas ça du tout pour le dessin. Moi j’ai fait des études de sport, je le suis moins maintenant, mais j’ai quand même été plutôt sportif quand j’étais plus jeune. J’ai toujours appris ça dans mes cours. On parle de schème moteur. Quand tu parles de connexions dans le cerveau, c’est exactement ça pour le sport, créer des automatismes. Ça existe aussi pour le dessin, je ne m’imaginais pas ça du tout. On peut parler de gamme ?
Natacha Noël : Exactement, c’est le même principe. Que ce soit pour la musique par exemple, on passe son temps à faire des gammes pour réussir justement à avoir ces automatismes et à ne pas à être en train de réfléchir où est-ce qu’on doit poser les doigts sur une guitare, sur un piano, etc. pour faire une note. Pour le dessin c’est exactement le même principe.
Régis Moscardini : Rien ne résiste à l’entrainement, que ce soit du dessin, de la peinture ou autre chose, c’est l’entrainement qui fait qu’on progresse.
Natacha Noël : Exactement. Au début c’est ça, après c’est au fur à mesure, c’est-à-dire qu’on va avoir besoin de support pour essayer de trouver les bonnes structures, les bonnes choses.
Régis Moscardini : Une petite question, peut-être un peu bête : tu préfères qu’on dise que tu es illustratrice ou dessinatrice ? C’est quoi le vrai terme pour ta passion, pour ce que tu fais actuellement ?
Natacha Noël : Moi, je me qualifie de dessinatrice, pas illustratrice.
Régis Moscardini : Quelle est la différence entre les deux, s’il y en a une d’ailleurs ?
Natacha Noël : L’illustration, ça va être finalement plus pour agrémenter des livres, pour agrémenter des articles, etc. Moi, je n’en ai jamais fait, c’est pour ça que je reste sur dessinatrice. Après, peut-être plus tard ça pourra évoluer.
Régis Moscardini : Ce qui différencie les deux termes, c’est peut-être le but ? C’est-à-dire que l’illustration va être destinée à illustrer un texte, illustrer un magazine, compléter quelque chose. Alors que le dessin, il se suffit à lui-même. C’est un peu ça l’idée. On sait que c’est difficile de vivre de la photographie animalière, d’ailleurs Alexandre Boudet, ton conjoint, ne vit pas de sa vente de photos d’animaux mais sa principale source de revenus c’est son travail pour la pub et les industriels, en photo aussi. Est-ce que c’est aussi compliqué pour un illustrateur de vivre de son activité ou il y a plus de débouchés que pour la photo animalière ?
Natacha Noël : Je ne pense pas forcément qu’il y ait plus de débouchés. En France, les illustrateurs ou les dessinateurs vont plus travailler pour des sociétés, des choses comme ça, plutôt que faire du dessin animalier. Dans le même cas que la photo animalière, il y en a énormément qui font ça par passion. Mine de rien, c’est quand même un domaine qui est artistique. Les domaines artistiques, à l’heure actuelle, pour réussir à en vivre, c’est extrêmement compliqué. Il faut réussir à se démarquer, à faire ses preuves, à se faire connaitre, à bien évaluer le prix de ce qu’on fait aussi.
Régis Moscardini : Il y a une vraie petite démarche commerciale, même si on parle de passion, d’artistique, de choses pas forcément très concrètes et très cartésiennes, il y a quand même quelque chose derrière de commercial pour pouvoir essayer d’en vivre ?
Natacha Noël : Il y a forcément quelque chose de commercial, mais moi je ne suis pas dans la démarche commerciale où c’est moi qui vais aller chercher le client. C’est-à-dire que moi je vais plus attendre qu’aller démarcher.
Régis Moscardini : Parce que tu as quand même ton métier derrière qui assure le revenu ?
Natacha Noël : Oui, tout à fait. En plus, par rapport à ce que je fais, actuellement je n’ai pas encore trouvé totalement ma patte, on va dire.
Régis Moscardini : Ton style qui va te démarquer ?
Natacha Noël : Exactement.
Régis Moscardini : Ce que tu fais ressemble encore un petit peu trop à ce que peuvent faire certains autres ?
Natacha Noël : Tout à fait.
Régis Moscardini : D’accord.
Natacha Noël : Pour le moment, je n’ai pas encore mon style. Le jour où je trouverai mon style, ça sera encore différent. Mais à l’heure actuelle, un dessin comme je les ai faits, toute la série des ours que j’ai faite, chaque dessin m’a pris entre 15 et 30 heures de travail. Donc après c’est compliqué parce que, pour le vendre, je vais difficilement vendre ça 300 euros. 30 heures, 300 euros, ça veut dire être payé 3 euros de l’heure, qui travaille pour 3 euros de l’heure ?
Régis Moscardini : C’est vrai.
Natacha Noël : Ce qui fait qu’il faut réussir, pour ceux qui le veulent réussir à en vivre, à évaluer à peu près correctement son travail, quel prix on serait prêt à mettre dans une œuvre sachant que le jour on vend un original, cet original on n’a pas de copie, ce n’est pas comme la photo. C’est la différence avec la photo. C’est-à-dire qu’une photo, on peut vendre une photo ce n’est pas un souci, mais cette photo on peut la vendre à plusieurs personnes.
Ça dépend de la taille, ça dépend de ce qu’on veut en faire, quelle utilisation on veut en faire, etc. Mais chaque photographe garde ses fichiers d’origine et ces fichiers-là ne sont pas vendus en règle générale ou alors avec des droits d’auteur. Tandis que pour un illustrateur ou un dessinateur, le jour où il vend son original, l’original il est vendu.
Régis Moscardini : Tu te sépares vraiment de ton bien ?
Natacha Noël : Oui, totalement. Après, effectivement on peut vendre des copies, etc. mais les copies elles vont être obligatoirement beaucoup moins chères qu’on original.
Régis Moscardini : Est-ce que ça ne pourrait pas être comme pour un photographe animalier, c’est-à-dire vendre quelques photos, pour toi vendre quelques dessins, mais à côté de ça proposer des stages par exemple ou proposer tes services pour des entreprises ou des magazines, ça peut être ça l’activité principale pour une illustratrice ou un illustrateur ?
Natacha Noël : Pour les entreprises, même les particuliers, proposer des stages, effectivement un dessinateur peut le faire. Moi, je ne me sens pas à l’heure actuelle légitime pour donner des cours. J’ai ma technique à moi, c’est un peu particulier. Même si ça pourrait en intéresser certains, je ne me sens pas légitime pour le moment pour proposer des cours ou des stages.
Régis Moscardini : D’accord. Tu parlais de style, tu n’as pas encore trouvé ton style à toi, ton style en tout cas est trop générique. Ça m’intéresse parce qu’en photographie aussi on cherche souvent à se démarquer des autres pour ne pas faire comme tout le monde, même si on aime bien quand même s’inspirer de ce que font les autres, mais en rajoutant sa petite touche particulière. Justement tu fais un travail particulier pour trouver ton style ou tu te dis que ça viendra tout seul, ou tu te nourris de ce que font d’autres illustrateurs. Comment tu comptes un jour trouver ton style ? Tu as une démarche particulière pour ça ?
Natacha Noël : Déjà c’est beaucoup aller voir ce que font les autres parce qu’au final on ne réinvente jamais rien. Jamais personne n’a inventé quoi que ce soit. C’est-à-dire que ce soit en photo où effectivement quelqu’un va trouver son style en se disant, je vais mettre l’animal très loin dans la photo et ça va être un joli paysage, ça peut être du travail en noir et blanc, etc. mais au final il n’y a jamais personne qui invente réellement quoi que ce soit.
En dessin c’est pareil, il y en a tellement qui travaille que du coup tout a déjà été fait. Après, l’idée c’est de réussir à trouver soit en termes de mélange de style soit en termes d’utilisation des couleurs, des choses comme ça. Marcello, lui, a un style qui est bien particulier, ses planches on les reconnait de suite.
Régis Moscardini : Il y a une couleur, je ne sais pas comment dire, c’est un petit peu jaune, il y a plusieurs dessins dans un seul dessin, des inscriptions dessus, des petites écritures. C’est vrai qu’on reconnait son style tout de suite. C’est ce que tu voudrais toi pour qu’on te dise un jour, j’ai vu ce dessin, je sais que c’est Natacha Noël ?
Natacha Noël : Voilà, exactement. Ça de toute façon, il faut tous qu’on y arrive. C’est-à-dire que ce que je fais actuellement, je passe par différentes phases. Pour l’instant moi je suis toute jeune dans le dessin, donc je suis en train de tester par rapport à ce que je vois, ce qui me plait des autres. A un moment donné il y a tout qui va se mixer. Parce que c’est bien de chercher, on peut toujours chercher la bonne idée, mais la bonne idée à force de la chercher, on ne la trouve jamais.
Régis Moscardini : Bien sûr.
Natacha Noël : A un moment donné, il va y avoir le déclic en se disant, tiens ça, ça peut-être sympa et ça ne s’est pas forcément vu. Mes ours, peut-être qu’en France on ne les voit pas trop ce style-là, c’est-à-dire juste l’animal avec son blanc et avec une ombre pour le sol. Mais en revanche que ce soit aux Etats-Unis ou en Angleterre, ce sont des choses qui se sont déjà vues. C’est du déjà vu.
Après, je ne vais pas aller copier Marcello. J’ai des idées, donc il faut que je prenne le temps de travailler dessus parce que de voir comment ça peut se mêler, etc. Mais c’est vrai que pour le moment je suis encore dans cette phase où je tâtonne pour essayer de voir ce que je peux faire.
Régis Moscardini : C’est intéressant. Je pense que la démarche peut être la même pour un photographe qui souhaite aussi se démarquer, de faire quelque chose de plus personnel. Il ne faut pas être trop pressé comme tu le dis très bien, il faut mixer les différents genres qu’on peut s’approprier et un jour on va trouver le truc, le petit déclic. Il faut partir un petit peu là-dessus.
Tu as parlé de Marcello Pettineo. Nous, en photographie animalière, on a notre star, c’est Vincent Munier. C’est lui, c’est Marcello Pettineo pour l’illustration ? C’est la star, c’est celui qui sort un petit peu du lot ?
Natacha Noël : Moi, tous les artistes animaliers je ne les connais pas, j’en connais quelques-uns parce que je ne fréquente pas trop le milieu artistes animaliers. Après je le connais un tout petit peu mais du fait d’avoir quasiment qu’un cercle de connaissances de photographes animaliers, j’évolue plus dans ce milieu-là que dans le milieu artistes animaliers. Marcello, lui, a une démarche réellement de se faire connaitre. Le qualifier de star, je n’en sais rien.
Régis Moscardini : Le terme n’était peut-être pas très bien choisi. C’était juste pour dire est-ce qu’il y a un artiste qui va un peu tirer, je parle de Vincent Munier parce que je pense que c’est celui pour la photographie animalière qui va vraiment démocratiser, il est paru dans Paris Match, il passe à la télé sur des grandes chaines à des heures de grande écoute, donc c’est lui qui va un petit peu faire parler de la photographie animalière au grand public. Est-ce qu’il y en a un qui a un petit peu ce rôle-là pour l’illustration ?
Natacha Noël : Je n’en sais rien. Moi j’en connais principalement deux : Marcello va faire du crayon
Régis Moscardini : Ce que tu fais, toi ?
Natacha Noël : Ce que je fais, moi. Après, je sais qu’en peinture il y a également Christophe Drochon qui lui participe au jury du Salon des artistes animaliers qui se déroule à Bry-sur-Marne tous les ans. Lui est vraiment connu dans le milieu.
Régis Moscardini : Ceux qui font de la photo ont forcément entendu parler des principales règles de composition, je parle de la règle des tiers, des lignes directrices. Est-ce que toi aussi quand tu fais un dessin tu fais attention à ces choses-là, à ces grands principes de composition pour notamment guider le regard du spectateur, est-ce que tu fais attention à ça ?
Natacha Noël : On est obligé de faire attention à ça parce que faire un dessin qui est tout au milieu, ça ne donne pas forcément la bonne dynamique. Moi je fonctionne principalement suivant les images que je prends, j’essaie de voir ce qui peut être le plus sympa pour la composition, ce qui va rendre ça très intéressant. Mais on est obligé. Dans tout métier de l’image, on est obligé de faire attention à la composition.
Régis Moscardini : Evidemment. Pour ton travail, est-ce qu’il te suffit d’un papier, d’un crayon et d’une gomme et puis c’est parti ? Est-ce qu’il y a un petit peu de vrai ou j’ai tout faux et il y a vraiment toute une panoplie de matériels que je n’imagine même pas ?
Natacha Noël : C’est vrai et faux en même temps. Moi, j’ai plein de crayons, plein de crayons différents parce que ça me permet d’avoir des noirs différents, des choses comme ça.
Régis Moscardini : Une petite remarque : pour le noir, il ne suffit pas d’appuyer ou de moins appuyer ? Tu utilises des crayons différents, différentes nuances de gris, de noir ?
Natacha Noël : C’est ça. En fait on a différentes duretés de crayons. Quelque chose qui va être très dur va faire un trait qui est très pâle. Quelque chose qui est beaucoup plus gras va permettre d’avoir un noir qui est très intense. C’est d’ailleurs pour ça qu’à l’heure actuelle je me suis dirigée vers des crayons carbone, qui sont des crayons moitié graphite moitié fusain, pour avoir des noirs qui soient très denses.
Régis Moscardini : Donc ton style peut être amené aussi par le matériel que tu utilises. Par rapport au papier, j’avais fait une interview d’un photographe, Patrice Mariolan, qui me disait qu’il passait beaucoup de temps à choisir le papier, qu’il faisait plein d’essais pour choisir le papier de ses photographies. Toi c’est pareil, le papier sur lequel tu dessines est très important pour le rendu mais aussi pour le toucher au moment du dessin ? Comment ça se passe ?
Natacha Noël : En dessin, on a plusieurs types de papier. On a des papiers très grainés donc avec un gros grain qui donne une texture très particulière, on a des papiers très lisses voire du bristol.
Régis Moscardini : Qu’est-ce que tu préfères, toi ?
Natacha Noël : Pas le bristol parce que le bristol est très lisse, du coup c’est un petit peu compliqué, mais je préfère des papiers très lisses. Parce que je suis sur un dessin qui est réaliste, je ne dis pas hyper réaliste parce que j’en suis loin encore. Du coup pour réussir à rendre la texture notamment des poils, il faut que chaque coup de crayon puisse marquer correctement le poil. Donc moi je suis sur du papier lisse.
Régis Moscardini : D’accord. Il ne faut pas que le coup de crayon très précis pour marquer un petit coup de poil par exemple puisse être perturbé, gêné par un grain de papier ?
Natacha Noël : Exactement.
Régis Moscardini : Tu travailles directement en prise avec la nature, c’est-à-dire que tu es sur le terrain avec ta planche ou tu fais tes dessins chez toi à partir de photos ? Comment tu fonctionnes ?
Natacha Noël : Ça, c’est mon grand regret. Pour le moment je travaille à partir de photos.
Régis Moscardini : De plusieurs photos ou d’une seule ?
Natacha Noël : Généralement d’une seule.
Régis Moscardini : D’accord. Tu choisis une photo. Au final j’aimerais avoir ce type d’attitude-là par exemple ?
Natacha Noël : Voilà. Je choisis l’attitude de l’animal, je choisis la position, j’essaie de faire en sorte que ce soit quelque chose qui ne soit pas forcément vu tout le temps. Après je travaille à partir de cette photo. Maintenant c’est vrai que ça fait partie de mes projets aussi de pouvoir travailler à partir de croquis qui seraient pris dans la nature pour pouvoir les refaire tranquillement à la maison.
Régis Moscardini : Tu dis que c’est un regret parce que c’est plus difficile, ça demande plus de temps, c’est une technique que tu ne maitrises pas encore la base de croquis ?
Natacha Noël : La base de croquis, je ne le maitrise pas encore. Du coup il faut vraiment que je travaille dessus parce que ce n’est pas encore tout à fait ça. Là, ça fait partie de mes projets. Je me suis donné un an, 2 ans pour travailler sur le style, sur le croquis, sur des choses comme ça. C’est-à-dire pour les mois à venir je ne prépare pas d’exposition. Si j’ai la chance de participer à des expositions, ce sera avec la série qui est déjà prête sur les ours.
Mais pour l’instant je ne prépare pas de nouvelles expositions pour pouvoir justement trouver quelque chose qui me permette d’évoluer et qui permette aussi de contenter des spectateurs en se disant, oui ce n’est pas forcément que des ours qu’elle sait faire également.
Régis Moscardini : Il te faut un gros travail de mémoire si tu veux travailler à partir de croquis, parce que finalement tes croquis c’est la source brute, pas forcément très détaillée. Mais si tu veux faire un dessin réaliste après coup chez toi, il faut vraiment que tu es une mémoire de l’instant, de l’animal, très développée pour être sûre que ça rende bien, que ce soit assez réaliste ?
Natacha Noël : Je ne l’ai pas encore testé. Je ne pense pas qu’il y ait forcément la mémoire qui intervienne dedans, c’est-à-dire que pour moi, le croquis c’est surtout prendre par exemple la position de l’animal, c’est la position générale du corps, où sont placés les différents membres, muscles, etc. si on a besoin de les voir. Ensuite mon idée c’est de me dire, je prends mes croquis et après à la maison je vais bien trouver une photo, au moins une photo de l’animal, simplement pour pouvoir vérifier
Régis Moscardini : Les proportions, les choses comme ça ?
Natacha Noël : Pas tant les proportions. C’est surtout au niveau des textures, des choses comme ça, l’orientation des poils parce que si on se plante sur l’orientation des poils, forcément l’animal va avoir un air très bizarre. Donc je suis plus sur cette démarche-là.
Régis Moscardini : Une question par rapport aux droits d’auteuRégis Moscardini : est-ce que tu peux prendre une photo, n’importe laquelle sur le Net, peu importe à qui elle appartient, et en faire un dessin ? Ou tu es tenue d’acheter la photographie, d’acheter les droits d’auteur pour pouvoir l’illustrer ? Quelles sont les règles dans ce domaine-là ?
Natacha Noël : Les règles, c’est qu’on n’a pas le droit d’utiliser sans l’accord de l’auteur une photographie pour en refaire un dessin ou une peinture. La législation prévoit que normalement on est censé changer 4 ou 5 éléments par rapport à la photo d’origine pour en faire sa propre œuvre. C’est-à-dire que comme pour tout droit d’auteur, à partir du moment où tu interprètes la photo, cette photo une fois interprétée dans ton dessin normalement t’appartient.
Mais ça reste un petit peu délicat. Moi, ce que je fais, c’est que pour le moment je fonctionne avec mon cercle d’amis en leur demandant, est-ce que vous auriez ça, est-ce que je peux l’utiliser. Donc je n’achète pas les photos.
Régis Moscardini : Mais tu as l’accord des auteurs des photographies.
Natacha Noël : J’ai toujours l’accord.
Régis Moscardini : C’est important de souligner ça parce que j’imagine que dans ceux qui nous écoutent il y en a aussi qui s’adonnent à cette passion de l’illustration à n’importe quel niveau, et c’est important d’avoir ça en tête.
Natacha Noël : C’est important. Je me souviens d’une discussion que j’avais eu sur Facebook avec quelqu’un notamment, un grand dessinateur anglo-saxon si je me souviens bien, qui avait justement utilisé des photos pour faire un dessin, le propriétaire de la photo lui avait fait un procès parce qu’il n’avait pas demandé l’autorisation et que ce dessin-là lui l’avait vendu derrière.
Régis Moscardini : Donc ça peut aller jusque-là ?
Natacha Noël : Oui. Il y en a qui peuvent aller jusque-là parce que sinon imagine, tu prends n’importe quel photographe qui a fait une photo et qui n’arrive pas à la vendre, quelqu’un en fait un dessin derrière et il la vend, mettons, 2.000 euros. Forcément l’auteur de la photo il y a mis son âme, il a fait sa propre composition, etc., s’il retrouve sa photo copiée-collée en dessin, certes il y a le travail du dessin derrière mais la base de création c’est quand même le photographe qui l’a faite au début.
Régis Moscardini : Evidemment. Tu parlais de 10-15-20 heures pour faire un dessin. Moi j’ai une question qui me vient tout de suite en tête. Quand je fais une photo, il y a beaucoup de travail en amont, de repérage, de connaissances naturalistes et tout ça. Mais ma photo une fois que j’ai appuyé sur le déclencheur, on va dire que c’est fini, il y a un peu de travail derrière d’amélioration du fichier raw par un petit développement photo.
Mais moi je ne vais pas très loin là-dedans, ce n’est pas encore trop mon style. Toi, quand est-ce que tu considères que ton dessin est terminé ou tu considères que ce n’est jamais fini, il y a toujours une petite touche à refaire ?
Natacha Noël : Généralement, quand j’arrive à la fin d’un dessin, je ne le retouche plus après.
Régis Moscardini : Justement ma question, c’est qu’est-ce qui te dis, c’est bon, j’ai fini, là j’arrête ?
Natacha Noël : En fait tu as toujours un jeu de couleurs, un jeu de lumière, de la texture, etc. Moi, je procède par zone c’est-à-dire qu’un dessin je vais commencer, s’il est en format portrait, tout en haut à gauche pour éviter, comme je suis droitière, de salir le reste.
Régis Moscardini : C’est intéressant, c’est un truc tout bête, on ne s’imagine pas ce genre de choses, mais effectivement ça parait logique. Si on est droitier, on commence en haut à gauche pour ne pas baver avec sa paume de main sur tout le dessin.
Natacha Noël : Exactement. Si tu étales tous les coups de crayon que tu as faits parce que tu as commencé en bas, le problème c’est que ton dessin va être complètement inutilisable par la suite. C’est dommage. Donc moi je commence par là. Une fois que je suis satisfaite de cette zone-là, je passe à autre chose. Je fais quelques arrangements à la fin, c’est-à-dire que je vais atténuer un petit peu, je vais rajouter un ou deux coups de crayon mais en règle générale, une zone est finie, elle est finie.
Donc ce que j’expliquais à beaucoup de gens qui sont venus me voir en exposition, ils me disaient, vous ne vous rendez pas compte, 30 heures c’est énorme. Je leur disais, mais vous êtes photographes animaliers, vous passez combien de temps à faire votre repérage, etc. avant d’appuyer sur le bouton pour avoir la photo que vous vouliez. Grosso modo effectivement, moi, je mets du temps pour un dessin, mais pour une photo pour beaucoup c’est la même chose.
Régis Moscardini : C’est vrai. Mais ce n’est pas tout à fait le même rapport au temps, c’est-à-dire que c’est un travail de préparation pour un photographe animalier et toi, tu es dans l’action tout le temps. C’est un peu comme si nous, on déclenchait pendant 30 heures. Le rapport au temps est un peu différent.
Natacha Noël : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi, parce que sur un dessin effectivement tu as 30 heures d’action parce que 30 heures de coups de crayon. Mais je dirais que le temps de préparation à la base, c’est juste de sortir une feuille de papier, de voir comment tu vas placer ton sujet dans la feuille de papier et puis terminé. Grosso modo ça prend entre 10 minutes et ½ heure si tu y passes énormément de temps.
Après c’est du dessin, c’est de l’action. Mais vous en tant que photographes animaliers, il faut que vous alliez faire du repérage, vous pouvez faire des kilomètres et des kilomètres, il faut installer le matériel, il faut vérifier que la lumière est bonne, il faut attendre que l’animal arrive, etc. Donc au final on est plus ou moins sur le même temps de préparation pour un résultat final.
Régis Moscardini : C’est vrai. Alors est-ce qu’il y a un animal qui est réputé être difficile à illustrer, par son pelage, sa forme, son attitude ? Est-ce que les carnivores prédateurs sont censés être plus difficiles par rapport à leurs dents par exemple ou moins difficiles que des herbivores ? Qu’est-ce que tu peux me dire par rapport à ça ? Est-ce que les écailles sont plus dures que les poils, des choses comme ça ?
Natacha Noël : Ça va vraiment dépendre de la sensibilité de chacun. Moi je sais que je préfère faire des animaux à poils, parce que j’aime bien la texture. C’est une texture qui, pour moi à l’heure actuelle, est plus facile qu’effectivement faire des écailles ou des plumes. Les écailles, je n’ai jamais testé. Les oiseaux, j’ai fait. J’en ai fait, j’en ai encore fait un dernièrement. Pour moi les oiseaux sont très compliqués, non pas tant à cause de leur texture, mais principalement parce que comme je suis comme sur du dessin réaliste, j’ai toujours peur d’oublier une plume et que j’ai tous les ornithos qui me tombent dessus, ça ce n’est pas bon.
J’ai une grande angoisse à faire de l’oiseau. Mais ça dépend vraiment de chacun, il y en a qui vont préférer travailler sur des poissons, il y en a qui vont préférer travailler sur des animaux à poils, à poils longs, il y en a d’autres à poils courts, d’autres des oiseaux, etc., c’est vraiment très différent. Mais je pense que s’il y a un animal qui nous plait, la difficulté est vite surmontée, c’est-à-dire qu’il suffit juste de travailler un petit peu pour voir comment faire cette texture-là, ensuite ça va tout seul parce que c’est assez répétitif au final. Après c’est faire attention à la lumière pour pouvoir rendre l’effet entre guillemets 3D des animaux.
Régis Moscardini : C’est marrant parce que tu me parles souvent de texture. Moi avant de t’écouter je pensais plutôt aux proportions. Quand je m’amuse un tout petit peu à faire du dessin, sur n’importe quoi, ce sont surtout les proportions qui me posent problème. Je me dis que la tête est beaucoup trop grosse par rapport au corps. Et toi, non, c’est plutôt le problème de la texture qui te prend beaucoup de temps.
Natacha Noël : C’est la texture parce que c’est finalement là-dessus que tu passes le plus de temps. Moi sur un dessin, une fois que mon esquisse est faite, c’est-à-dire que je commence par faire l’esquisse générale du dessin, où sont les oreilles, où sont les yeux, le museau, etc. Là, j’ai déjà mes proportions. Je ne vais pas commencer à travailler une oreille et à me dire, je verrai après pour le reste du dessin. Ce n’est pas gérable.
Régis Moscardini : Ma dernière question, Natacha, une question plus personnelle : quel est ton animal favori, celui pour lequel tu as une attirance particulière, pas forcément celui que tu préfères dessiner, quel est celui pour lequel tu as un petit truc en plus ?
Natacha Noël : Depuis toute petite, le panda. C’est un gros nounours noir et blanc.
Régis Moscardini : C’est bien un truc de fille, ça !
Natacha Noël : Ah oui ! C’est totalement un truc de fille, je crois que ça me tient depuis que je suis toute petite. Depuis l’âge de mes 5-6 ans, j’ai toujours été attirée par le panda. Après vient tout ce qui est tigre, léopard, etc. J’aime beaucoup les félins. J’espère un jour pouvoir faire une belle série sur les félins parce que c’est vraiment quelque chose qui m’attire. Le panda aussi. Mais j’ai plein de sujets que j’aimerais bien faire en dessin.
Régis Moscardini : Une petit pub pour le zoo de Beauval qui est le seul zoo en France, peut-être en Europe je ne sais pas, qui a deux pandas.
Natacha Noël : Oui.
Régis Moscardini : Il y a eu pas mal d’actualités par rapport à ça quand ils sont arrivés en France. On peut voir deux pandas en France dans le zoo de Beauval, vers Troyes. Je n’y suis jamais allé mais je pense que j’irai un jour pour les voir.
Natacha Noël : Nous, on y est déjà allés plusieurs fois, pas pour voir les pandas, à l’époque ils n’étaient pas encore arrivés mais je me dis que de toute façon on va y aller bientôt parce que j’aimerais faire certains animaux qui sont présents dans les zoos. On ne peut pas forcément aller les voir dans leur pays. Je pense notamment au panda roux, c’est un animal que j’aime beaucoup également.
Régis Moscardini : Tu aimes bien les gros nounours en peluche ?
Natacha Noël : Oui, j’aime bien les gros nounours en peluche. Après, il y a des animaux qui m’attirent plus que d’autres. Mais en règle générale, il y a ça, il y a les éléphants. Les éléphants, c’est un problème de texture, j’ai du mal encore. Il y a pas mal de choses comme ça où je vais peut-être plus me pencher, aller les voir dans les zoos pour avoir les proportions, pour tout ça, pour pouvoir les dessiner après. C’est vrai que le zoo de Beauval n’est pas très loin de chez nous et j’espère bien pouvoir y aller dans l’année pour agrémenter ma photothèque.
Régis Moscardini : Je te remercie Natacha pour ce superbe moment passé avec toi.
Natacha Noël : Il n’y a pas de problème Régis, ça a été un grand plaisir également.
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Top Natacha 😉 .. à bientot
Génial comme sujet et bravo à elle pour son magnifique travail.
C’est vrai que cela change d’interview de photographe animalier mais c’est la même veine
Il lui faut une bonne photo pour faire un beau dessin
Natacha est bien modeste de son travail.
Bonjour Karin,
Je me permets de réagir… il ne faut pas forcément une bonne photo pour faire un beau dessin 🙂 Oui, j’ai besoin d’un support pour respecter une attitude réaliste de l’animal mais ce n’est pas la photo qui fait le dessin, sinon je serai bien embêtée !! 🙂
Je sais bien que ce n’est pas la photo qui fait le dessin mais avoir de bonnes photos sous la main je pense que cela aide pour les attitudes, les proportions, les postures…
le but n’étant pas de copier une photo, mais d’après les photos de mieux cerner l’animal pour en faire un portrait.